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4 avril 2014 5 04 /04 /avril /2014 21:32

Tout le monde semble chuchoter, ce matin. Un murmure parcourt les couloirs et se déplace, un peu distant, un peu distrait, détaché, loin des malades absents.

La conversation est douce et organisée, comme convenue pour une fois, presque protocolaire, elle s’intéresse aux ions et aux molécules, au plus et au moins, efficace et conforme. Nous jouons. Pour moi, c’est toujours un murmure, un son extérieur qui accompagne une image un peu floue et blanche, une boule de neige acrobatique et tentaculaire, qui se déforme sans fin, ouvre les dossiers, accroche les radiographies, les rendent expressifs et compréhensibles.

Une machinerie, de nature articulée, va prendre des décisions, des décisions que tout le monde attend. C’est sa nature, son obsession finale. Malgré son apparente lassitude, ses atermoiements, la torpeur apprise de l’habitude et à cause de cette lenteur inexorable, le chemin du matin abreuve son monde et rassasie les angoisses.

Ce cortège me gêne, trop voyant et trop lent, microscopique convention, religieuse routine dont il faut sans cesse secouer les acteurs, sans cesse les surveiller, il n’y a pas beaucoup d’espace entre Diafoirus et Hippocrate. Je sais que des fils se tissent tous les jours pour les rapprocher et les confondre. Je sais que nous allons de l’un à l’autre, je sais qu’il faut se méfier des attitudes et des images qui découlent et dérivent. On se croit un et on est un autre. On se croit à un endroit et on est à un autre. Encore une fois faire attention et rire de nous-mêmes suffisamment souvent et suffisamment longtemps.

Voilà ce que je me disais ce matin-là, tiré par la meute molle. Il aurait suffi d’un pas ou deux sur le côté pour nous voir, pourtant, comme nous sommes, mais rien ne nous avait préparé à la critique. C’est la même distance qu’il faut prendre, s’éloigner de nous, pour nous, cette même distance que nous prenons souvent pour les malades, à cause d’eux, qui attendent ces pas vers eux.

Il y avait là un problème d’espace. Trop près de nous, serrés les uns contre les autres, trop près de notre secte fragile.

Pendant que la troupe se disperse, chargée de missions diverses, incantations caféinées et oracles se succèdent, l’expression du culte se précise un peu plus. Le dernier carré est là, réuni pour les grandes décisions. Pourtant, il n’y a pas de doute à avoir. Comme les petites, elles ont leur importance que nous ne soupçonnons pas. Nous sommes là pour ça, pour décider, sans savoir lesquelles seront grandes, utiles, efficaces, dangereuses. Tout cet édifice matinal fonde cet acte et ces doutes, les futurs espoirs et les futures joies du jour. Et bien sûr les autres choses. Tout cela est rituel, injuste, inégal, inégalable et tout cela me rassure au bout du compte.

Un petit moment seul où je pense encore à l’image. Souvent, j’ai envie de repasser seul dans ces chambres et sans blouse pour parler des autres choses, d’autre chose que de la maladie. Leur maladie. Quelqu’un d’autre pourrait le faire, peut-être. Une visite pour le corps, une visite pour l’âme. Et évidemment, ce n’est pas si simple parce que l’un va toujours avec l’autre, l’un ne va pas sans l’autre. Un moyen de guérir nos contradictions apparentes, parfois tellement enracinées, enseignées et surtout cette image étriquée où l’obligation de la compétence détruit les sentiments, les sensations, polit l’être médecin au point d’en faire une statue vivante, mais fantôme inébranlable et lugubre parfois, fils d’Hermès aux bons mots plutôt qu’aux bonnes paroles.

Que voit-on de moi, que voit-on de nous ? Tout respire l’uniformité au propre oui, et au figuré et la médecine a besoin de ces atours pour évoquer les équivalences, l’égalité des chances et des compétences, la cohérence des actes et des décisions, la médecine a surtout besoin de la confiance, rapport si rare et déjà thérapeutique, attitude ponctuelle pour faire accepter, officialiser la douleur et la mort. La blouse blanche est propre et chacun pourtant a son avis sur sa propre élégance et sa propre conception de son utilisation. Les détails sont parfois infimes, mais cette microsémeiologie égaie la microsociologie du monde soignant. La façon de porter une blouse est bien multiple et souvent dit, voudrait dire beaucoup de choses. Les poches sont ornées de dépliants, d’instruments et de carnets joliment agencés, ordonnés, organisés en autant de décorations, de grades et de récompenses.

Un jour, on écrira tout un livre sur cette livrée, sur cette armure, mais on n’y verra que les marques des époques et celles plus dérisoires des hommes enclins à éclairer leur habit de signes distinctifs et parfois burlesques, minimes dérogations à la tenue réglementaire, soucis d’existence, soucis de hiérarchie, de respect.

Image et distance, mamelles matinales, ne nous éloignez pas des réalités qui appellent d’elles-mêmes leurs réponses quotidiennes.

Entrer dans cette chambre comme la première fois de ma vie. Trouver tout de suite la distance et donner tout de suite la bonne image, pas la mienne, pas celle que je veux donner, mais celle que l’autre attend et que je ne connais pas en ouvrant la porte.

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