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4 avril 2014 5 04 /04 /avril /2014 21:42

Toujours nuit à huit heures, avec beaucoup de lumière artificielle et le brouillard si clair, pointillé des halos jaunasses de la rampe d’accès, si bien qu’on ne savait pas vraiment ce qui commençait ou finissait du jour, ou de la nuit.

Ma clé magnétique a ouvert la grande barrière et je me suis engagé sur la voie d’accès au parking souterrain. J’ai à nouveau badgé et le lourd volet roulant s’est replié lentement, s’ouvrant sur une gueule grise. J’ai regardé la caméra latérale qui fixait l’axe transversal de la voiture, à hauteur du visage. Quand tout fut identifié, contrôlé, l’ordinateur m’attribua une place disponible sur un tableau électrique clignotant. Aussitôt une voix synthétique confirma l’emplacement et un fléchage lumineux me guida jusqu’à lui.

Je préférais, le plus souvent, accéder au bâtiment par l’extérieur, afin d’éviter le hall principal, aussi je ressortis du parking pour emprunter la rampe d’accès des ambulances.

Au pied de cette petite route bétonnée en arc de cercle, je voyais les immenses lettes argentées qui défiaient la brume et le jour naissant. U.R.G.E.N.C.E.S. surmontaient la bouche béante et sombre de l’entrée du sas. Sous les regards croisés des vidéos, deux hauts panneaux métalliques se repliaient sur eux-mêmes et le véhicule s’engouffrait sans bruit.

Vu de loin, dans ma lente montée, j’imaginais l’ambulance, s’ouvrant à son tour, déverser sans hâte son offrande, vite happée par de nouvelles lèvres d’acier, laissant entendre le temps d’un instant un gémissement ou un cri de surprise dans un éclair de lumière bleue.

Je le voyais souvent comme ça, dans ces matins
ouatés, comme un monstre affamé qui réclame, vitupère  sans cesse, et nous qui payons sans cesse le prix du sacrifice. Mais ça ne m’était jamais paru aussi organisé que ce matin-là.

En quelques pas, jusqu’au contrôle magnétique, j’ai senti la chaleur exhalée, puis la porte latérale piétons s’est ouverte sur le hall bleu néon presque entièrement vitré sur ses deux longueurs. Le reflet des gyrophares passait et repassait, parfois le dernier son d’un klaxon d’urgence s’étouffait dans cet espace bleuté, lisse, propre et métal argenté.

Personne ne vint à ma rencontre, les caméras de surveillance m’avaient identifié, mon badge avait désactivé les messages d’alerte et enregistré mon passage dans le hall à 08h03.

Derrière moi, les portes vitrées coulissantes se sont silencieusement refermées pendant que le grand sas se vidait de la dernière ambulance, le laissant vide, pour quelques secondes seulement.

J’entendis le bruit si caractéristique des pneus qui manœuvrent et freinent sur le béton peint du hall couvert, avec un dernier couinement du klaxon d’urgence. Au sol, des marques de gomme pneumatique croisées, superposées, composaient une étrange écriture.

Plus fines, d’autres marques, plus longues, plus discrètes, plus sûres, traçaient la voie jusqu’à l’entrée, puis jusqu’au cœur du service, faites par les roues des brancards qui fusent de l’ambulance vers l’équipe d’accueil.

J’ai ralenti mon pas en les croisant, en me demandant qui arrivait, qui allait-on découvrir et pourquoi il ou elle venait si vite dans cet hôpital. Je me demandais si le monstre allait s’en contenter, si la souffrance serait assez grande, la maladie ou les blessures assez graves, la mort assez proche.

Rapidement, le brancard m’a dépassé et j’ai croisé un regard vide, enfoui sous les couvertures, un bras dépassait et serrait fermement une canne en bois.

Le visage était ridé et fatigué, au bout de sa vie mais vivant. Je m’en voulus de ne pas avoir vu si c’était un homme ou une femme, presque enseveli. J’ai accéléré le pas pour revenir à sa hauteur. En marchant à côté de lui ou d’elle, dans une curiosité que j’ai du mal à avouer, mais qui nous appartient à tous. J’ai lu la lettre qui l’adressait et que les infirmiers avaient laissé posée sur sa poitrine, première phase d’identification, première marque, autorisation de présence avant le tatouage électronique.

Je lus la lettre avec difficulté, à cause de l’écriture, sans y trouver aucune explication claire, rien que des banalités familières, rien que des choses physiologiques, mécaniques sous l’apparence des mots.

Cette fois-ci, nous étions arrivés dans la zone d’examen et le brouhaha couvrait tout.

J’ai pris la main du vieil homme et je dus lui répéter en hurlant presque :

- «Pourquoi venez vous à l’hôpital ?»

Le bruit et mes cris lui firent tourner lentement la tête vers moi. Ses yeux m’ont fixé longuement, ont hésité un peu, toujours dans la lenteur tant on sentait bien qu’il était fatigué. De la voix chevrotante que l’on imagine, il me regarda :

- «C’est vous, le docteur ?»

Je répondis à sa question à demi-voix et lui redemandai :

- «Pourquoi venez-vous à l’hôpital ?»

Ses yeux ont continué à me fixer, puis sans bouger, se sont éloignés des miens. En fait, je n’attendais pas plus de réponse qu’il n’attendait cette question. Au bout d’un moment pourtant, j’ai vu son menton se relever comme pour désigner ce qui l’entourait et ses lèvres bouger qui semblaient dire :

- «Il a encore faim.»

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